Réforme du Code Pénal sexuel : séance plénière du 17 mars 2022
Réforme du Code Pénal sexuel : séance plénière du 17 mars 2022

Réforme du Code Pénal sexuel : séance plénière du 17 mars 2022

Faire société n’est possible que si l’on se sent respecté, écouté, protégé. L’Etat doit garantir de vivre en sécurité et assurer le respect des droits.

« Le parcours judiciaire des victimes s’apparente trop souvent à une double peine : au traumatisme psychique ou corporel initial s’ajoute la maltraitance et le manque de reconnaissance ». Les victimes et particulièrement les victimes d’actes de violence sexuelle doivent être entendues et reconnues.

L’importance de ce projet de loi est énorme

Lorsque vous nous en aviez annoncé le dépôt, nous nous sommes, dans un premier temps, réjouis de voir enfin des avancées législatives dans ce domaine.

Des avancées il y en a dans ce projet voté en commission et je les soulignerai.

Par contre, je vous ai dit et continuerai à dire tout le mal que je pense de certains aspects et du peu de protection des victimes dans certains domaines.

Le Code pénal doit être revu, corrigé, rendu actuel et aussi rendu lisible et nous appelons cette réforme globale de tous nos vœux. Nous regrettons une fois de plus la fragmentation de ces réformes et leur incohérence puisque des éléments de la réforme globale ont été copiés comme tels mais sans changer les principes de base et en appliquant le code pénal actuel. Tout cela peut faire une sacrée soupe.

Il est fondamental que le Code pénal dans son ensemble soit cohérent et lisible et que l’échelle des peines soit revue alors que dans ce projet, celle-ci est revue à la hausse sans autre explication.

Comme l’a affirmé Madame Françoise Tulkens, haute magistrate, juriste de grande qualité : « C’est très important de s’occuper des infractions en matière de

violences sexuelles, mais le faire comme ça, en les extrayant de tous les principes généraux du droit pénal, c’est étrange, alors qu’ils sont indissociables. Si on veut le faire, il faut bien le faire, et non en retirant artificiellement une matière du Code pénal général et en la coupant de ses racines »

Et elle va plus loin en affirmant « “J’ai rarement vu quelque chose d’aussi indigeste. Il faut le dire et le répéter, un Code pénal doit être une œuvre que l’on montre au public auquel il s’adresse. Il doit être accessible, c’est une de ses qualités essentielles, indispensables »

Avocats.be a lui aussi critiqué la fragmentation de la réforme du Code pénal

« Vouloir procéder à une réforme en deux temps, en écrivant dès à présent un « nouveau Code pénal sexuel » alors que la réforme de l’ensemble du Code pénal devrait être adoptée dans un futur proche, parait contreproductif et source de confusions.

Il va de soi qu’un tel procédé ne favorise pas une meilleure lisibilité, pourtant voulue par le législateur, du Code pénal. Surtout, la réforme du « droit pénal sexuel » devrait impérativement s’inscrire dans la réflexion plus globale qui accompagne la réforme du Code pénal. »

De nombreuses auditions ont été menées dans le cadre de ce projet de loi et la voix citoyenne a pu largement s’exprimer dans des sens très divers. La question à poser est celle de savoir si elle a été suffisamment prise en compte. Nous pensons que non, nous pensons également que lorsque les avis de personnes de terrain, d’associations ou même d’institutions sont sollicitées, il est de notre devoir d’envisager avec sérieux et ouverture ce qui a été énoncé et à y répondre au minimum de façon motivée quand les avis ne sont pas suivis.

Tous les changements de ce nouveau Code pénal sexuel que nous aborderons dans la suite ne seront utiles que si d’abord, et avant tout, il existe en parallèle et de manière volontaire :

  • le respect comme valeur fondamentale et la vérification du consentement comme un mode de vie dans les relations sexuelles comme dans tout le reste ;
  • une éducation  à un changement radical d’état d’esprit quant à l’approche sexuelle. Ce sont nos enfants qui doivent peu à peu
  • apprendre ce changement de vision, d’une approche de l’autre, d’un autre regard porté sur la jeune fille, la femme, l’enfant, le rapport de séduction, les rapports sexuels ;
  • une politique criminelle de tolérance zéro à l’égard des violences sexuelles ;
  • des moyens appropriés tant au niveau du personnel que financiers,
  • une politique de sanction, d’éducation et de réinsertion des condamnés à des délits  sexuels qui ne sont pas tous de « grands criminels à enfermer à tout jamais » et qui, de coupables d’hier, demain en sortant de prison, seront des citoyens à part entière.
  • une approche qui n’est plus le « tout à la prison » mais surtout une approche qui donne du sens à la sanction, à une lutte intelligente contre la récidive
  • Ouverture rapide des centres d’appui contre la violence sexuelle promis par le ministre

Quelles sont les avancées de ce projet de loi ?

  1. L’introduction de la notion positive de consentement

Jusqu’à présent le Code pénal utilisait le consentement de manière négative pour qualifier le viol : « il n’y a pas de consentement si ou lorsque… »

Art. 375 du Code pénal : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas, constitue le crime de viol.
Il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par violence, contrainte, menace, surprise ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime. 
Le projet, tel qu’il a été finalement voté, définit de manière plus précise le consentement pour l’ensemble des infractions à caractère sexuel. Il suppose que celui-ci a été donné librement et cela devra être considéré à la lumière de toutes les circonstances de la cause. Le consentement ne pourra être déduit de l’absence de résistance, il ne se présume jamais et toute personne a la responsabilité de vérifier celui-ci y compris dans la continuité.

Toute personne peut retirer son consentement durant toute la durée de l’acte sexuel. Ce sont là des changements importants dans le comportement qui posent bien évidemment la question de la preuve. Certains auraient voulu et ont préconisé un renversement complet de la charge de la preuve.

De nombreuses discussions et amendements en sens divers ont été mis sur la table de la commission et une collaboration positive avec le cabinet a permis des clarifications du texte concernant la question du consentement et le dépôt d’un amendement que nous avons cosigné.

Il prévoit qu’il n’y a pas de consentement lorsque l’acte à caractère sexuel a été commis en profitant de la situation de vulnérabilité de la victime. (due notamment à un état de peur, à l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, à une maladie ou à une situation de handicap, altérant le libre arbitre.)

On parle ici des cas dans lesquels la vulnérabilité d’une victime altère le libre arbitre. Un élément qui nous paraissait important, comme le soulignait Avocats.be[1],  est que le juge puisse toujours disposer d’une marge d’appréciation suffisante en fonction des circonstances de l’affaire. Par exemple, dans la situation où l’on boit un ou deux verres d’alcool, ce qui, chez la plupart des personnes, n’entraînera pas une altération du libre arbitre, mais chez certaines personnes (par exemple, une personne atteinte d’une certaine maladie ou prenant certains médicaments et réagissant donc plus fortement à l’alcool), sera bien le cas.

Il était opportun également de souligner, comme cela a été fait via l’amendement que nous avons cosigné, qu’il n’est pas question de remettre en cause la capacité des personnes en situation de handicap (physique et/ou mental) à vivre une sexualité consentie. Ici encore, le juge appréciera la situation au regard des circonstances de l’affaire. Ce qui doit et va changer à partir de maintenant, c’est l’importance de la parole de la victime : si celle-ci est jugée crédible en étayant son absence de consentement, il faut que ce soit sa position qui l’emporte. Il faut inculquer une autre manière de raisonner : croire la parole de la victime malgré l’incohérence

compréhensible de ses propos après un acte qui va la traumatiser durant longtemps.

  1. La question de la majorité sexuelle

Celle-ci est fixée à 16 ans et cela nous convient. Cela a le mérite de la clarté et permet de protéger les mineurs.

Il y a une présomption irréfragable de non-consentement en dessous de 14 ans et une possibilité de consentement à partir de 14 ans s’il existe une différence d’âge de moins de 3 ans entre les personnes

Les auditions ont mis en avant que cette différence (qui était de deux ans dans le projet initial) était peut-être un peu trop étroite. Pour nous, une différence de 3 ans est acceptable mais pas au-delà car il est incontestable qu’entre un adolescent de 14 ans et un autre de 18 ans, la différence de maturité et d’évolution est vraiment trop importante.

  • L’inceste

Malgré le caractère très positif de la création de l’infraction d’inceste en tant que tel, nous avions déposé un texte il y a 18 mois, il est regrettable que l’inceste à l’égard de la personne majeure ne soit pas retenu même si l’on sait que la plupart des délits d’inceste débutent durant la minorité pour se poursuivre éventuellement à l’âge adulte.

Le projet prévoit pour les personnes majeures (art 21 du projet, art 417/19) qu’il s’agit alors « d ’actes à caractère sexuel intrafamiliaux » non qualifiés d’inceste mais qui sont punis de manière forte en fonction de la gravité des circonstances.

Nous avons déposé à deux reprises un amendement sur ce point. De nombreuses personnes auditionnées allaient dans ce sens et ont montré l’importance de qualifier ces actes également d’inceste à l’égard de majeurs. Nous avons redéposé cet amendement.

Dans ce cas, bien évidemment, la notion de consentement reprend tout son sens.

Nous regrettons que, malgré notre insistance, cette notion n’ait pas été reprise et nous soulignons toutefois l’avancée importante de la création de cette infraction pour les mineurs.

  1. L’exploitation sexuelle des mineurs d’âge

Le texte du projet ne nous convenait pas du tout car il mettait en place une différence entre le mineur de moins de 16 ans et celui de plus de 16 ans.

Cette différence n’était pas acceptable comme si un mineur de 16 ans était en capacité de donner une sorte de consentement à son exploitation sexuelle.

Pour les associations de terrain il ne saurait être question de prostitution infantile : il s’agit forcément de traite des êtres humains.

Un mineur d’âge ne peut consentir à se prostituer !

Nous avons déposé divers amendements à cet égard et finalement avons pu obtenir, dans les restrictions au consentement des mineurs d’âge, une présomption d’absence de consentement en matière de débauche ou de prostitution.

Nous nous félicitons de cette avancée pour la protection plus complète du mineur d’âge face à son exploitation sexuelle.

Quels sont les points qui posent problème dans ce texte

  1. La prostitution des personnes majeures et le proxénétisme
  2. Prostitution volontaire

Soyons clairs, il n’est pas dans nos intentions de condamner le travail du sexe lorsqu’il est choisi par une personne majeure en toute liberté et non contrainte par des personnes extérieures qui veulent en tirer profit. Ces travailleurs du sexe (femme ou homme) doivent pouvoir obtenir un statut social qui leur permette de vivre décemment et de manière indépendante totale de proxénète.

L’auditeur du travail CLESSE est venu nous dire toute l’importance qu’il réserve à cette problématique et cette question a, depuis lors, trouvé réponse dans une loi modificative relatives au contrat de travail que nous avons soutenue sans pour autant accéder à notre demande de statut particulier pour les indépendants.

Par ailleurs il ne nous faut pas oublier l’appel à la vigilance de certaines associations : la prostitution est très souvent un continuum de la violence contre les femmes. L’entrée dans la prostitution n’est jamais accidentelle.

De plus, la violence est omniprésente dans la prostitution elle-même de la part des proxénètes, des clients ou d’autres acteurs (insultes, menaces, humiliations, agressions physiques) qui génèrent tout un ensemble de violences prostitutionnelles que la société considère comme consenties uniquement parce que de l’argent est échangé

  1. Proxénétisme et traite des êtres humains

Dans l’avant-projet, le proxénétisme avait été complètement dépénalisé pour faire place à l’exploitation sexuelle avec « avantage anormal ». Suite à l’avis du Conseil d’Etat et à une note du Collège des procureurs généraux, le proxénétisme a été réintroduit. Malgré des amendements, ce texte reste beaucoup trop sujet à interprétation et ouvre la porte à des exploitations inacceptables

Il faut rappeler que le droit international prohibe toute forme d’exploitation de la prostitution. En effet la Convention de New-York de 1950 relative à la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, ratifiée par la loi belge du 6 mai 1965, prohibe toute forme d’exploitation de la prostitution, quelle que soit sa forme et même si le travailleur du sexe a accepté librement de se prostituer. Le respect de cette convention implique de ne pas favoriser la prostitution et de ne pas légaliser le proxénétisme.

Nous devons aussi rappeler la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979 (CEDAW) ratifiée par la Belgique en 1985, qui, en son article 6, oblige les Etats parties à prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour supprimer, sous toutes leurs formes, la traite des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes. Nous sommes dans la crainte que la redéfinition du proxénétisme dans le projet renforce l’impunité des exploiteurs et proxénètes tant la notion d’avantage anormal tiré de la prostitution pourra être sujet à interprétations diverses.

Rappelons-nous que le Ministre a invoqué les textes de la Nouvelle Zélande comme modèle de ce projet. Très bien, sauf que la Nouvelle Zélande n’a pas ratifié la Convention de New York qu’elle n’a donc pas à l’appliquer.

Pour Samilia

« Dans le nouveau projet le juge pourra décider souverainement en fait si le but du proxénète est de réaliser un profit anormal, pour autant qu’il donne sa signification habituelle à la notion de « profit anormal », qui n’est pas décrite plus précisément dans la loi et qui est indescriptible. Il faudra donc caractériser le profit anormal pour condamner le proxénète, ce qui est ardu.

Le juge fondera sa décision sur tous les éléments et circonstances de fait de l’affaire en ce compris le caractère excessif, immodéré ou exagéré du profit visé. Seuls les abus sont visés, pas les excès.

  1. La publicité

La publicité est interdite pour la prostitution SAUF si elle est réalisée pour ses propres services. Ces exceptions prévues dans le projet de loi permettront donc cette publicité sur tous les supports.

La aussi la porte est ouverte à tous les excès.

  • Les Eros center et l’expérience allemande

Permettez-moi de vous faire part de l’expérience allemande qui a modifié sa loi sur le proxénétisme en 2002. Ils ont essayé et actuellement, et depuis quelques années, les maisons closes pullulent en Allemagne à tel point qu’un journal français titrait « L’Allemagne, le plus grand bordel d’Europe ».

La dépénalisation du proxénétisme a créé un résultat alarmant : le marché de la prostitution a explosé, les groupes internationaux du crime organisé se sont multipliés et le nombre de prostituées victimes de la traite a fortement augmenté.

C’est notre crainte avec cet assouplissement du proxénétisme et l’application de la Directive service qui permet l’arrivée massive de personnes étrangères victimes de trafic des êtres humains.

  1. L’augmentation des peines

Malgré les grandes déclarations selon lesquelles la prison doit être le remède ultime, force est de constater que le présent projet de loi augmente le niveau des peines et n’entre pas dans le schéma proposé par la commission de réforme du Code pénal

Cet aspect est fortement critiqué par Avocats.be qui relève que « les seuils des peines pour les infractions à caractère sexuel sont tous systématiquement et lourdement augmentés. AVOCATS.BE regrette cette option purement répressive, contraire aux intentions affichées par la commission de réforme du Code pénal.

Nous avons eu, au sein de la commission de la Justice, de beaux débats sur le sens de la peine et particulièrement sur le sens de la peine de prison tant comme sanction que comme lutte contre la récidive.

J’ai l’impression que ces discussions positives ont totalement été oubliées dans le présent projet et je trouve cela dommage surtout dans la perspective de la réforme globale du Code pénal.

Je regrette également que la peine de « traitement imposé » ne soit pas reprise dans un tel projet alors qu’elle pourrait y jouer un rôle assez essentiel.

Que ferons-nous avec ce code lorsque nous arriverons enfin à traiter l’ensemble du Code pénal ? Allons-nous modifier les principes généraux et l’échelle des peines alors que ce code sera à peine voté ?

En guise de conclusion, je rappellerai toute l’ouverture d’esprit dont vous avez fait preuve sur ce texte, n’hésitant pas sur certains points à écouter l’opposition. Vous êtes le seul du gouvernement Vivaldi à le faire régulièrement.

Je vous redirai cependant que les mécanismes protectionnels des victimes que nous applaudissons et soutenons et que vous développez dans la première partie s’effacent complètement dans la partie sur la prostitution. Nous le regrettons profondément.

Il ne peut y avoir de pacification de la vie en société et donc pas de justice si des victimes ne sont pas reconnues en tant que telles, si des victimes ne sont pas protégées, si des victimes se terrent par crainte de représailles de réseaux, de coups et de violences.

Il n’y a pas de justice lorsque des poursuites à l’encontre d’auteurs sont aléatoires lorsqu’elles sont rendues plus difficiles ou impossibles.

Avec votre Code Pénal sexuel et la manière dont vous traitez la prostitution exposant les victimes à de l’exploitation, les auteurs à de l’impunité et des services de police encore plus démunis en moyens et en possibilité d’enquêter, vous ne donnez pas à l’Etat sa mission d’assurer la sécurité et le respect des droits de chacun.

Cette boussole indispensable que doit être le Code Pénal et ce qui est attendu de chacun dans une société apaisée n’indique plus le cap.

Pour toutes ces raisons, le groupe « Les Engagés » votera contre votre projet.


[1] « Il faut impérativement laisser le soin aux juges d’apprécier les situations qui leurs sont soumises au cas par cas, sans les enfermer dans des définitions leur laissant trop peu de marge de manœuvre »

Revoir la vidéo de la séance plénière