Projet de loi portant des dispositions en matière du travail du sexe sous contrat de travail
Projet de loi portant des dispositions en matière du travail du sexe sous contrat de travail

Projet de loi portant des dispositions en matière du travail du sexe sous contrat de travail

Vanessa Matz (Les Engagés): Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui se situe en aval du Code pénal sexuel qui a été adopté en mars 2022. À l’époque, nous avions émis un certain nombre de réticences. Il nous paraissait contraire à différentes conventions internationales prohibant l’exploitation de la prostitution et interdisant le proxénétisme ainsi que la traite des êtres humains. Nous craignions alors que ce texte et les flous qu’il contenait, notamment sur la définition même du proxénétisme par référence à la notion d’avantage anormal, puissent être utilisés par des proxénètes.

Aujourd’hui, nous restons évidemment inquiets, d’autant plus que nous avons le sentiment que les moyens restent insuffisants pour lutter efficacement contre la traite des êtres humains et le proxénétisme. Il importe de rappeler qu’en Belgique, 85 % des personnes prostituées sont victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle.

En Europe, on estime que 84 % des victimes de la traite sont exploitées dans les marchés de prostitution, comme le déclare la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. C’est dans ce contexte d’inquiétude que nous avons examiné le projet qui nous est soumis. Nous ne pouvons que saluer la volonté exprimée d’offrir un cadre sécurisant aux travailleurs du sexe et d’imposer des obligations et des contraintes importantes aux employeurs de ces travailleurs.

Mais nous ne pouvons également qu’exprimer une forme de perplexité par rapport au succès que rencontrera auprès des employeurs/proxénètes ce nouveau statut. Ils bénéficient actuellement d’avantages considérables qui peuvent être qualifiés d’anormaux. Ils ont peu de contraintes, ils ont tout pouvoir sur les travailleurs, ils ne payent ni cotisations ni impôts. Il s’agit pourtant d’un secteur où une quantité monstrueuse d’argent circule. Ainsi, selon les estimations de la Banque nationale, les Belges ont dépensé plus d’un milliard d’euros pour du sexe tarifé.

Ce nouveau statut ne connaîtra aucun succès si la traite des êtres humains et le proxénétisme ne sont pas combattus de manière beaucoup plus efficace. Mais cela est plus facile à dire qu’à faire et implique des moyens importants dont la police et la Justice ne disposent pas actuellement.

Si le projet de loi offre un cadre sécurisant, il impose également des contraintes significatives aux futurs employeurs qui sont, dans la plupart des cas, issus de circuits mafieux, exploitant la misère humaine, et parfois liés à la grande criminalité.

Nous avons beaucoup de mal à imaginer que ceux-ci vont, du jour au lendemain, devenir des employeurs compréhensifs et respectueux des règles et des conditions de travail. Le Conseil de l’Égalité des Chances entre Hommes et Femmes a justement relevé ce problème. Il est légitime de se demander comment un milieu connu pour ses affiliations mafieuses va réagir à un cadre légal plus rigoureux et moins profitable. Quelle sera l’envergure des mesures de surveillance et de sanctions prévues par le gouvernement pour protéger les personnes se prostituant? Comment faire en sorte que l’ensemble du secteur rentre dans le cadre strict de ce projet de loi au lieu de continuer à œuvrer dans la pénombre et l’illégalité?

Au cours de nos interventions en commission, nous avons relevé les différentes remarques du Conseil National du Travail (CNT), la question du suivi, de la santé au travail, des infections sexuellement transmissibles (IST), du travail à domicile, l’impossibilité de mettre en place des éléments fondamentaux du projet de loi (personnes de confiance, bouton d’urgence, etc.). Nous restons insatisfaits des réponses obtenues.

Il est essentiel de continuer à travailler pour que les droits des travailleurs du sexe soient non seulement connus, mais également pleinement respectés et protégés dans la pratique. Il faut tout faire pour que ce projet de loi ne reste pas un vœu pieux, inappliqué sur le terrain, mais pour que cette législation soit la pierre d’angle d’un secteur de la prostitution offrant un droit à la sécurité sociale pour ces travailleurs, un droit à la sécurité, la fin des violences contre ceux-ci et un cadre juridique contraignant pour que les exploiteurs deviennent des employeurs et que la violence cesse.

De trop nombreuses questions restent sans réponse et les zones de flou juridique restent trop importantes pour que nous puissions soutenir votre texte. Nous ne soutiendrons donc pas ce projet parce qu’il n’est pas accompagné des moyens nécessaires à ce qu’il remporte un franc succès. Nous nous abstiendrons par conséquent sur ce projet.

Pierre-Yves Dermagne, ministre: Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour vos différentes prises de parole ainsi que pour la qualité du travail en commission sur un sujet qui n’est pas facile. Je ne serai pas très long car, comme Mme Cornet l’a évoqué, nous avons eu de longs échanges de qualité au sein de la commission. Je renvoie donc aux propos que j’ai pu y tenir d’initiative ou en réponse aux interpellations et aux questions des parlementaires.

Je veux simplement vous dire ici que c’est un phénomène que je n’ai jamais abordé avec angélisme et avec le sentiment que ce projet de loi, ce nouveau statut soit la réponse à toutes les difficultés et horreurs qu’on peut rencontrer quand on parle de prostitution.

Vous avez été plusieurs à évoquer des chiffres et des statistiques mettant en lumière, une lumière crue, des situations et des pratiques criminelles, des organisations mafieuses, de la traite d’êtres humains, de l’exploitation humaine au sens large qui sont effectivement présents dans notre société et qui doivent faire l’objet d’une lutte acharnée des services de l’État des différents niveaux de pouvoir. Je le répète, jamais ce texte n’a eu la prétention de répondre à tout et d’être la solution. Je pense modestement que c’est un des éléments de la solution pour améliorer les conditions de ces travailleurs qui sont majoritairement des femmes. Les rapports de force et de domination masculine sont bels et bien présents. Nous devons le garder en tête. Cela doit rester le prisme au travers duquel ces questions doivent être abordées.

Plusieurs d’entre vous ont rappelé l’importance du suivi et de l’évaluation. Vous savez que j’ai toujours été favorable à l’évaluation des politiques publiques dans tous les domaines sur toutes les questions et d’autant plus sur celle-là. Je nous engage collectivement à, après le 9 juin, opérer cette évaluation strictement, méthodiquement et consciencieusement en concertation avec les acteurs de terrain et avec les différentes institutions et niveaux de pouvoir.

Je reste convaincu que si ce n’est pas la solution, c’est au moins un de ses éléments. Il reste des doutes et des interrogations à mes yeux, comme pour vous, madame Matz. Les formules de prohibition ou, pire, l’hypocrisie avec laquelle ces problèmes de société sont traités ne sont pas la solution.

Je préfère regarder la réalité en face même si elle est violente et crue et même si elle questionne les dysfonctionnements de notre société et en son sein. Je préfère regarder la réalité en face et y apporter des éléments pour l’améliorer pas après pas de manière résolue et déterminée mais humblement.

Vanessa Matz (Les Engagés): Merci monsieur le ministre. Je ne pense pas que ce soit une question de ne pas vouloir regarder la réalité en face. La réalité est aussi celle qui nous est et vous est relayée par le secteur associatif qui s’occupe de ces questions liées à la prostitution, avec le chiffre terriblement interpellant de 85 % de personnes qui sont dans un rapport d’exploitation. Le ver était dans le fruit au moment du vote du Code pénal sexuel, nous voyons ici une forme de légalisation de cette exploitation. Ce qui était interdit parce qu’il y avait exploitation est maintenant permis. C’est là que se situe la question fondamentale, et non dans un jugement moral. Dans notre chef, il n’en est nullement question.

Mais nous nous demandons si ce projet ne légalise pas l’exploitation. La définition qui est maintenant donnée du proxénétisme se rapporte à l’avantage anormal, dont nous savons qu’il est évidemment extrêmement difficile à quantifier. C’est là que réside la question centrale de ce dossier, le statut étant aux yeux des associations un maillon de plus dans cette forme de légalisation du proxénétisme, parce que cette définition est trop floue. Je voudrais rappeler que, la justice manquant de moyens, dans certaines sections de la police judiciaire, il n’y a plus de cellule dédiée à la traite des êtres humains. Je pense par exemple à Mons. Cette situation avait d’ailleurs été dénoncée par les procureurs. Or on sait que dans la grande criminalité, il y a le trafic de drogues, mais aussi la traite des êtres humains. Il s’agit des mêmes réseaux criminels, d’où la nécessité de rappeler qu’il faut des moyens pour la police judiciaire, notamment dans ces cellules de traite des êtres humains.

On sait que ce sont des montages particuliers, notamment avec des personnes qu’on fait venir de l’étranger. Il faut donc de la spécialisation pour la police judiciaire. Il faut des moyens pour lutter contre les proxénètes, qui doivent, à notre sens, continuer à recevoir une interprétation quand même pas trop stricte. On sait en effet qu’un magistrat aura beaucoup de mal à considérer l’avantage anormal.

Je prenais toujours cet exemple quand nous parlions du Code pénal sexuel. Une chambre avec une fille à 500 euros, avec un bain à bulles et un verre de champagne, est-ce un avantage anormal? Je n’en sais rien; mais en tout cas, ils auront vite fait de dire que ce n’est pas anormal, puisque c’est une prestation « de luxe ».

Voilà la difficulté de ce dossier, et voilà pourquoi nous nous sommes toujours battus contre, et non pas pour une question morale. Il ne s’agit pas de cela. Il ne s’agit sûrement pas de fermer les yeux. Mais la première priorité, c’est de lutter contre les réseaux et contre la traite des êtres humains. Je vous remercie.

Lire le compte rendu de la séance

Revoir la séance plénière