Projet de loi relative aux compétences des membres du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes sur le territoire national
Projet de loi relative aux compétences des membres du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes sur le territoire national

Projet de loi relative aux compétences des membres du corps européen de garde-frontières et de garde-côtes sur le territoire national

Vanessa Matz (Les Engagés): Madame la ministre, il est clair que ce projet de loi est interpellant à bien des égards. Il y a eu un certain nombre d’engagements qui ont été pris soit en commission, soit directement dans le texte de loi.

Je pense qu’il y a un principe sur lequel nous devons être d’accord, c’est qu’il y a des personnes qui sont en bout de procédure, qui ont reçu un ordre de quitter le territoire et qu’il faut pouvoir accompagner vers le retour. Si l’accompagnement n’est pas possible, il faut alors procéder à une expulsion. L’affaire Lassoued nous a rappelé toute l’importance de l’exécution de ces ordres de quitter le territoire.

La fin justifie-t-elle les moyens? Sûrement pas! Faut-il des policiers complémentaires pour pouvoir exécuter ces tâches? Je pense que c’est une lapalissade de le dire. Nous le répétons depuis un certain nombre d’années, principalement pour la police aéroportuaire qui est vraiment l’un des parents pauvres de la police fédérale. Nous avons répété qu’on avait besoin de davantage d’agents pour exécuter des missions non seulement au niveau de la police judiciaire mais aussi au niveau de la police administrative.

Le premier constat qu’on doit faire par rapport à ce dossier, c’est que l’arrivée de ces agents Frontex cache difficilement la défaillance du gouvernement sur le fait d’engager assez d’effectifs policiers pour exécuter ces missions. Je pense que personne n’est dupe à ce sujet. Cet apport est le bienvenu compte tenu de la défaillance de l’État sur ce point.

Ces agents Frontex sont-ils de nature à bouleverser un équilibre parfois très précaire, notamment concernant les actes très importants dans une procédure et qui relèvent de l’autorité? Je veux parler de la détention, de la contrainte, de l’expulsion. Ces actes peuvent-ils être opérés par n’importe qui? Évidemment, non. Nous le savons.

Il y a dans le projet un certain nombre, je ne sais pas si je dois dire de garanties, mais en tout cas un certain nombre d’éléments qui nous font dire et penser que la règle générale est que ces agents sont sous la supervision de la police fédérale.

Je pense que c’est une règle générale qui traverse l’ensemble du dossier. La question qui interpelle le plus les associations et qui, en tous cas, en tant que juriste, m’interpelle le plus, est la suivante. On sait qu’ils sont sous la supervision de la police fédérale – il ne manquerait plus que cela –, mais sont-ils, en toutes circonstances et dans tous les actes qu’ils posent, accompagnés d’un policier? C’est évidemment la question fondamentale. Ce n’est pas de savoir si c’est sous leur supervision ou non. J’ai entendu la ministre dire en différentes occasions: « Il ne faut pas avoir de crainte, c’est sous la supervision de la police fédérale ». Est-ce à dire qu’il y a un policier, quelque part dans un bureau, qui supervise les opérations? C’est fondamentalement différent de se dire qu’au moment où il y a, par exemple, un acte d’arrestation ou de contrainte, il y a effectivement un policier qui se trouve à côté de l’agent Frontex. Madame la ministre, je pense que vous n’échapperez pas à la réponse à cette question. Pour l’instant, tout ou presque tout ce projet de loi repose là-dessus.

On sait que les agents vont, quelque part, prendre le costume des agents de police belges. Mais lorsqu’ils posent certains actes importants, puissants, attentatoires à la liberté tels que la mise sous contrainte et la détention, sont-ils en toutes circonstances accompagnés d’un policier? C’est la seule question à laquelle il faut répondre aujourd’hui devant ce Parlement. En effet, imaginons un dérapage. Cela peut arriver. Cette agence a mauvaise presse, nous le savons. Nous l’avons entendu, nous l’avons lu dans une série de rapports et d’audits. Lorsqu’il y a un dérapage, pouvez-vous nous confirmer ce que sont les instances comme la police qui sont prévues pour recevoir un certain nombre de plaintes, à savoir notamment le Comité P? Pouvez-vous nous confirmer cela? S’ils endossent quasiment le costume de policier, logiquement, l’instance de contrôle de leurs actes devrait être le Comité P. Est-ce bien le cas?

Pourquoi avons-nous un terrible doute sur ce qui a été énoncé? Vous répondez régulièrement que c’est « sous la supervision de… », donnant l’impression que tout est réglé. Or, à la lecture de ce projet de loi, on constate qu’il indique que les membres du contingent interviennent sous l’autorité nationale compétente et du fonctionnaire de police du service de la police intégrée en charge de la coordination et de la direction opérationnelle. Ils sont soumis aux ordres, instructions et directives de ces derniers et exercent toujours leurs tâches en présence d’un fonctionnaire de police du service susmentionné de la police intégrée (article 5). A priori, nous voilà rassurés par l’article 5!

Toutefois, l’exposé des motifs est pour le moins ambigu quant à la présence continue du fonctionnaire de police belge. Il est en effet indiqué que la présence immédiate d’un fonctionnaire de police devrait permettre de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires lorsque des mesures doivent être prises à l’encontre d’un individu. En attribuant aux membres du contingent permanent des compétences strictement limitées, ceux-ci peuvent, lorsque cela s’avère nécessaire, prendre les premières mesures qui s’imposent en attendant que le collègue belge présent prenne le relais avec toutes les conditions de procédures préalables qui y sont attachées.

Cela veut dire concrètement qu’à un moment donné, il y a une possibilité que l’agent Frontex soit seul à agir puisque l’agent belge le rejoindra un peu plus tard. Le Conseil d’État a indiqué ce qui suit à cet égard, et nous y avons été très attentifs: « Dès lors qu’il ressort du dispositif qu’il peut se concevoir que le membre du contingent agisse hors de la présence d’un fonctionnaire de police et compte tenu de l’atteinte grave aux droits fondamentaux que constitue l’usage de la force ou d’armes et le recours à la privation de liberté, il y a lieu de définir le contenu et les contours de l’obligation de présence d’un fonctionnaire de police ». Le Conseil d’État soulève ce problème. Il souligne que ce ne sont pas des actes anodins qu’ils doivent poser et qu’un fonctionnaire de police doit être présent en permanence pendant les procédures.

C’est cela que le Conseil d’État demande, précisant que si ce n’est pas le cas, cela doit être extrêmement limité. Il précise que c’est à définir. Or le gouvernement ne l’a pas défini.

Il me semble très important de rappeler plusieurs principes auxquels nous sommes attachés en tant qu’État de droit, c’est-à-dire qu’il faut une présence continue. Cela ne sert à rien de noyer le poisson aujourd’hui, parce que ce serait tromper de nombreuses personnes, parmi lesquelles les parlementaires ici présents, mais aussi toutes celles qui veillent au respect de l’État de droit. Je ne veux pas hurler avec les loups, en prétendant que rien ne va. Ce n’est pas notre vœu. Nous considérons qu’il est essentiel que des agents puissent faire exécuter les ordres de quitter le territoire. Sinon, l’opprobre serait jeté sur l’ensemble des migrants. Et nous ne le voulons pas, parce que plusieurs d’entre eux ont le droit de séjourner sur notre territoire ou sont en train de suivre une procédure. Par conséquent, il faut pouvoir distinguer, notamment quand des questions d’ordre public sont posées. C’est très clair pour nous. Il faut continuer à engager des policiers responsables de ces missions. Si nous faisons appel à d’autres, parce que ces agents nous sont confiés sans que cela coûte quoi que ce soit à l’État fédéral, ils doivent être placés strictement dans les mêmes conditions que les policiers et être accompagnés de ces derniers pour accomplir ces missions hyper sensibles. Voilà, me semble-t-il, un équilibre qui pourrait être atteint dans ce texte. Madame la ministre, nous attendons donc une réponse à cette question précise et fondamentale qui fera basculer le dossier d’un côté ou de l’autre, en fonction de la réponse que vous y apporterez.

Annelies Verlinden: lire la réponse

Vanessa Matz (Les Engagés): Merci, madame la ministre, pour les précisions que vous avez apportées. Il me reste – et ce n’est pas du tout pour vous piéger mais pour essayer de bien comprendre – quelques questions à vous poser. Vous avez clairement insisté sur le fait qu’un agent de Frontex n’était en aucun cas autorisé à opérer sans la présence physique d’un agent de police.

Dans d’autres lieux, vous avez parlé de supervision, ce qui n’implique pas la présence physique. J’aurais voulu savoir pourquoi il subsiste une forme d’exception mentionnée aux articles 8 et 9 du projet. Pourquoi jeter le trouble sur des articles qui ont l’air de restreindre ce principe absolu que vous avez défendu ici sans exception? Je pense qu’il serait essentiel pour nos travaux que vous puissiez nous confirmer que ces articles-là n’engendrent pas d’exception. Il y a évidemment les déclarations politiques que vous faites ici devant le Parlement, mais il y a aussi les textes juridiques. Et demain, certains pourraient se saisir de ces textes et invoquer une porte entrouverte qu’il serait plus facile d’ouvrir entièrement pour passer. Je vais illustrer mon propos par un exemple.

Selon vous, la présence d’un agent de police pour dix agents Frontex, par exemple à la gare du Midi, suffit-elle à remplir la condition de la présence policière? Est-ce un pour un ou pour un groupe d’agents Frontex, par exemple de dix personnes? Pourriez-vous nous répondre sur ce point? Je ne sais pas s’il est encore possible, madame la présidente, de solliciter cette réponse qui me semble vraiment très importante par rapport à la déclaration que j’ai soulignée. En effet, nous avions des craintes à ce sujet. J’aurais souhaité que la ministre réponde ou peut-être ne le souhaite-t-elle pas?

La présidente: La ministre ne souhaite pas prendre la parole.

Vanessa Matz (Les Engagés): Madame la ministre, je regrette évidemment que nous ne puissions pas obtenir de réponse. Je ne suis pas en train de tendre des pièges. Je suis en train d’essayer de clarifier au maximum nos travaux. Nous avons tous entendu ici votre déclaration selon laquelle cela ne souffrira pas d’exception et qu’il faudra toujours la présence d’un agent de police lors de l’intervention d’un agent Frontex. Nous nous en réjouissons mais le texte ne dit pas tout à fait cela. Demain, qu’est-ce qui primera? C’est évidemment le texte. Une interprétation pourra être donnée mais le fait de ne pas vouloir dire que cela ne souffre pas d’exception signifie qu’il y en aura quand même.

Je vais conclure car il ne sert à rien de refaire tout le débat. Selon moi, autant la déclaration était forte, autant le refus de répondre atténue fortement le propos comme le texte d’ailleurs. Pour ces raisons, je voterai contre le projet de loi.

Mon groupe, quant à lui, s’abstiendra car le signal est donné qu’il faut à un moment donné accompagner le retour et pouvoir exécuter les ordres de quitter le territoire. Pour ma part, voici cinq minutes, j’étais prête à m’abstenir sur ce projet. Mais, peut-être parce que je suis juriste aussi et que j’ai l’impression que les articles 5 et 8, s’opposent l’un à l’autre et qu’il n’y a pas les garanties procédurales ni les garanties au niveau du respect de l’État de droit sur la conjonction de ces deux articles, pour ces raisons-là, je voterai contre ce projet.

Lire le compte rendu de la séance

Revoir la séance plénière