Projet de loi portant organisation des audiences par vidéoconférence dans le cadre des procédures judiciaires
Projet de loi portant organisation des audiences par vidéoconférence dans le cadre des procédures judiciaires

Projet de loi portant organisation des audiences par vidéoconférence dans le cadre des procédures judiciaires

Vanessa Matz (Les Engagés): Monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’actuellement, à la Cour d’appel de Bruxelles notamment, certaines audiences ne peuvent être fixées avant 2040. La justice belge connaît un arriéré important qui relève d’un problème structurel identifié par la Cour européenne des droits de l’homme comme une violation du droit à un procès équitable des justiciables. Face à ce constat, l’optimisation de la procédure judiciaire peut s’avérer nécessaire et dans l’intérêt du justiciable. Nous sommes favorables à cette optimisation spécialement dans le contexte qui est le nôtre et que je viens de rappeler. Toutefois, le projet comporte des risques et des défis importants qui auront des implications concrètes sur les procédures judiciaires. Il ne faudrait pas que cette digitalisation de la justice soit l’arbre qui cache la forêt, c’est-à-dire annoncer qu’on va organiser cela car cela nous coûtera moins cher et nous dédouanera de devoir mettre des moyens complémentaires dans la justice.

Cette digitalisation pose d’abord des questions du point de vue de l’accès et de la capacité d’utilisation des technologies informatiques. En effet, tout le monde n’a pas nécessairement un accès fiable à internet et aux équipements nécessaires pour participer à des audiences virtuelles. Il y aura sans aucun doute des cas où le principe de l’égalité des armes ne sera pas respecté. Elle pose ensuite question du point de vue de la confidentialité et de la sécurité des données. Des audiences virtuelles peuvent être sujettes à des violations de la vie privées, à des fuites d’informations sensibles, à des enregistrements clandestins suivis de diffusion, etc. Ces dangers sont réels et peuvent grandement compromettre la confiance des justiciables en notre système judiciaire dont la crédibilité est déjà fragilisée à l’heure actuelle. C’est un risque auquel nous refusons fermement de nous résoudre. En outre, cette transition pose aussi question parce qu’elle touche à l’essence même de notre idéal judiciaire. D’une justice humaine, on risque de basculer vers une justice robotique et déshumanisée.

Des études ont démontré les implications concrètes de ces risques. Il est plus difficile virtuellement de percevoir des émotions, les intentions, les regrets, les volontés de rédemption et, plus largement, l’ensemble des communications non verbales. Pourtant, nous savons à quel point ces dimensions sont importantes dans un procès pour l’ensemble des parties. Je pense que c’est précisément ces dimensions qui constituent ce qu’un procès peut revêtir de constructif. Qu’en sera-t-il dorénavant de la prise de conscience et de la responsabilisation qui peut découler d’une audience judiciaire? Elles se perdront, assurément.

À ces inquiétudes, vous me répondrez en chœur, avec l’exposé des motifs, que l’organisation des audiences judiciaires par vidéoconférence a vocation à être l’exception tandis que les audiences physiques resteront le principe. Pourtant, quand on regarde l’économie du projet dans son ensemble, on ne peut que souscrire à la remarque du Conseil supérieur de la Justice qui indique, je cite: « Tout en rappelant que la norme reste la comparution physique à l’audience, le projet prévoit de façon paradoxale que la comparution par vidéoconférence peut être autorisée en toute matière, à tout stade, le cas échéant pour toute la procédure ».

La réalité, chers collègues, c’est que ce projet n’est pas un projet raisonné et équilibré. La raison et la recherche d’un équilibre nous auraient dicté d’introduire la vidéoconférence pas à pas et seulement dans des procédures où elle est opportune. C’est d’ailleurs ce que recommandent à l’unanimité les avis. À la place, vous avez fait le choix, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, d’élargir dangereusement et sans connaissance de cause la portée des audiences virtuelles. Ce choix est le vôtre. Il ne sera résolument pas le nôtre.

Avant de clôturer, j’aimerais souligner une dernière fois, comme je l’ai fait en commission de la Justice, l’importance de la formation des magistrats et du personnel judiciaire afin de les sensibiliser aux risques que la vidéoconférence comporte, ainsi que l’importance d’un suivi rigoureux de ce système afin de rectifier ses failles.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, nous voterons contre ce projet.

Vanessa Matz (Les Engagés): Monsieur le ministre, j’aimerais faire référence aux critiques que nous avons émises et ajouter qu’à un moment donné, les parties au procès vont se sentir acculées à l’idée de devoir utiliser la vidéoconférence parce qu’actuellement, elles ne possèdent pas les moyens nécessaires pour que cela se fasse dans des délais raisonnables. On va dire qu’avec la vidéoconférence, tout ira plus vite, et tout le monde a intérêt à ce que la Justice aille plus vite, mais cette rapidité se fera au détriment d’autre chose, par exemple le caractère humain, qui fait qu’on peut avoir des éléments d’appréciation dans un procès, et cela nous semble vraiment essentiel.

Quand je vous dis que ce projet est l’arbre qui cache la forêt, vous avez en quelque sorte planté des arbres pour cacher le désastre des moyens dévolus à la Justice. Ce projet de loi appliqué sur l’ensemble des procédures revient à dire que vous allez essayer de colmater les brèches et que vous ne comptez absolument pas investir dans les moyens humains. Bien sûr que la Justice a besoin de moyens informatiques, car son matériel est aujourd’hui vétuste, mais les moyens humains permettent d’amener des solutions rapides.

En l’occurrence, vous allez uniquement déplacer le problème plutôt que de vous atteler à ce qu’il faut vraiment faire, à savoir remplir les cadres. Pour rappel, il manque 260 magistrats sur notre territoire, et la situation n’est guère meilleure pour ce qui concerne le personnel judiciaire.

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