Les violences intrafamiliales en période de COVID-19
Les violences intrafamiliales en période de COVID-19

Les violences intrafamiliales en période de COVID-19

Vanessa Matz (cdH): Madame la ministre, ma première question a trait à la violence intrafamiliale en période COVID. En septembre dernier, les statistiques du ministère public ont fait état de 4 200 dossiers relatifs à des violences intrafamiliales entre les mois de mars et juin 2019, de 5260 dossiers entre mars et juin de l’année 2020: « selon les endroits, c’est une augmentation de 13 à 15 % qui est constatée » nous dit le procureur du Roi de Liège. Vraisemblablement, l’enfermement en couple n’a pas été profitable à tous, puisqu’une augmentation de 30 % a été enregistrée pour les dossiers de conflits conjugaux qui ne sont pas spécialement constitutifs d’infractions, mais qui font l’objet d’interventions des services de police ou de plaintes. La presse révèle également une augmentation des violences intrafamiliales dans les régions de Tournai et du Brabant wallon.

Cette augmentation semble clairement généralisée. La ligne Écoute Violences Conjugales a, quant à elle, constaté une hausse de 20 à 30 % des demandes d’aide téléphonique. Il y a quelques heures, de nouvelles mesures ont été prises: nous sommes à nouveau plongés dans un confinement partiel avec un couvre-feu plus que certainement propice à une recrudescence des violences intrafamiliales, des écoles fermées ou un enseignement à distance. Si ces nouvelles mesures sont essentielles d’un point de vue sanitaire, elles n’augurent rien de bon en ce qui concerne les violences intrafamiliales. De plus, les effectifs de police sont aussi touchés par les cas de COVID-19 et de quarantaines.

  • Seront-ils encore suffisamment nombreux pour assurer l’efficacité des suivis des victimes des violences intrafamiliales?
  • Madame la ministre, en juin dernier, deux propositions de résolution ont été adoptées par le Parlement: éloignement de l’auteur de violences du domicile de la victime, sensibilisation des services de police, protocoles plus rapides et plus simples, point de contact, plate-forme et système de SMS pour signaler les cas. Madame la ministre, où en est la mise en œuvre de ces résolutions?
  • Concrètement, quelles sont les solutions mises en place pour aider les victimes et lutter contre les violences intrafamiliales?
  • Vu l’augmentation des violences intrafamiliales vécues lors du confinement au printemps dernier, comptez-vous faire de celles-ci une priorité? Si oui, comment?

Ministre Annelies Verlinden : Collègue Matz, l’approche de la lutte contre la violence intrafamiliale en cette période du COVID19 est vaste puisqu’elle comprend des mesures de prévention, de réaction, de répression et de suivi dans la chaîne de sécurité. Elle implique donc plusieurs acteurs au niveau local, régional et fédéral. Je tiens dès lors à préciser que je me limiterai aux mesures qui relèvent de ma compétence. La période de COVID-19 met en lumière l’importance de la problématique de la violence intrafamiliale et de la violence entre partenaires. Elle met aussi en évidence la nécessité d’une approche coordonnée, multidisciplinaire et intégrée des différents secteurs dans les services de police. Dans ce contexte, diverses initiatives ont été prises ces derniers temps.

Premièrement, je pense notamment à la Conférence interministérielle Droits des femmes qui couvre des mesures de prévention, de protection, de poursuites et de politique intégrée pour lutter contre les violences envers les femmes en temps de confinement. Le travail de la CIM se concentre sur les thèmes qui nécessitent une forte coordination entre l’État fédéral et les entités fédérées.

Deuxièmement, le projet de plan d’action fédéral de lutte contre la violence basée sur le genre et la violence intrafamiliale à la suite de la deuxième vague du COVID-19 veut initier de nouvelles mesures, dont certaines concernent plus spécifiquement l’Intérieur, la justice et la police. Ces travaux se déroulent toujours dans le cadre global fixé par la CIM.

Troisièmement, il y a la réaction de notre pays au rapport publié le 21 septembre dernier par le GREVIO sur les mesures d’ordre législatif et autres donnant effet aux dispositions de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la Convention d’Istanbul.

Quatrièmement, les préparations sont en cours pour les nouveaux plans dont le plan d’action national de lutte contre toutes les formes de violences basées sur le genre et le plan national de sécurité pour la police intégrée. Je souhaite maintenant revenir plus précisément sur vos questions. Concernant la mise en œuvre des trois résolutions adoptées au Parlement et au Sénat, les recommandations reprises dans ces trois résolutions adoptées ont été étudiées et prises en compte dans le cadre de l’élaboration des plans d’action que je viens de citer. Certaines d’entre elles sont déjà déployées sur le terrain. D’autres prennent plus de temps. L’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes assure un suivi et une coordination des mesures et pratiques mises en œuvre par notre pays durant cette période du COVID-19.

Dans ce contexte, pour le surplus, je vous invite à vous adresser à Mme Sarah Schlitz, la secrétaire d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité. Un tableau de bord est mis à jour à ce niveau afin de pouvoir suivre l’évolution des différentes mesures à cet égard. Quant aux solutions mises en place au niveau policier pour aider les victimes à lutter contre les violences intrafamiliales, la police a pleinement coopéré aux travaux des différents groupes de travail créés en la matière. Les premières directives énoncées le 27 mars 2020 par la task force COVID-19 créée au sein de la police intégrée portaient précisément sur l’assistance aux victimes et notamment sur les groupes cibles vulnérables. Ces directives sont toujours en vigueur actuellement. Je souhaite souligner un certain nombre d’actions qui devraient faire la différence durant cette période de crise. Ces mesures portent tant sur le fonctionnement interne de la police que sur des meilleurs partenariats avec les acteurs du terrain.

Premièrement, il y a les mesures destinées à augmenter la proportion des victimes à déclarer des faits en rendant les services plus accessibles, en ce compris de manière plus numérique, par exemple au travers des contacts et des collaborations entre les lignes d’aide, comme les lignes d’urgence et les services de police et de secours sur le terrain, mais aussi la mise en place d’un dispositif d’alerte spécifique via un partenariat avec les officines pharmaceutiques. Une campagne de sensibilisation de la population est également prévue par les entités fédérées au travers d’affiches.

Deuxièmement, il y a la sensibilisation des policiers via deux initiatives récentes importantes. Le 23 octobre 2020, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes a organisé un séminaire en ligne au cours duquel furent notamment présentés les modèles de centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) et les données relatives au fonctionnement des CPVS ainsi que les bonnes pratiques. Via la police fédérale, la Commission permanente de la police locale et les réseaux policiers, les policiers de terrain ont été encouragés à y participer. Le 29 octobre 2020, le ministère public a organisé, en collaboration avec le même Institut, une web conference de présentation de la circulaire COL 15/2020 – Outil d’évaluation du risque. L’entrée en vigueur de cette COL est prévue le 1er janvier 2021. Au moins 80 policiers y ont pris part. L’objectif est de le diffuser plus largement encore ce webinaire auprès des zones de police via des modules de formation en ligne.

Dans le cadre de l’aide et du suivi multidisciplinaire des victimes, l’assistance policière aux victimes est assurée par des collaborateurs de police disposant de toutes les compétences requises. La police s’est, au demeurant, engagée dans un partenariat solide avec les Family Justice Centers, CPVS (Centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles), etc. L’approche multidisciplinaire est aussi axée sur les auteurs de violences, afin de sanctionner adéquatement leur comportement inacceptable, mais également d’éviter toute récidive. Enfin, il est clair que la violence intrafamiliale constitue une priorité pour la police et le SPF Intérieur. Cette thématique figurera, du reste, dans mon exposé d’orientation politique 2021- 2024 et dans ma note de politique générale 2021. L’assistance policière fait partie intégrante des processus policiers.

Afin de garantir une meilleure prise en charge des victimes, l’approche policière s’inscrit dans ce cadre multidisciplinaire et doit répondre à deux objectifs: diminuer le seuil à partir duquel une victime entreprend une démarche pour demander de l’aide et fournir une approche professionnelle plus qualitative de ce problème, en vue de mettre un terme à cette violence.

Vanessa Matz (cdH): Madame la ministre, je vous remercie pour ces réponses extrêmement détaillées. En ce qui concerne la question sur les violences intrafamiliales pendant la période de confinement, vous avez amené un certain nombre d’éléments intéressants. C’est vrai que cela tranche, excusez-moi, un peu avec le passé où nous n’avions qu’une vague idée de ce qui pouvait, éventuellement, se faire.

Il est vrai que, si cela reste pour le moment relativement au niveau des intentions, on sent en tout cas qu’une dynamique se crée au niveau du gouvernement. Je n’ai pas manqué aussi – j’attendrai sa réponse quand elle sera programmée – d’interpeller la secrétaire d’État, Mme Schlitz, ainsi que votre collègue de la Justice sur cette question des violences, puisqu’on sait qu’il y a plusieurs volets. Et voilà, à mon avis, la difficulté dans la lutte contre les violences, c’est qu’elle se répartit non seulement entre différents ministères au niveau fédéral, mais qu’elle relève aussi de la compétence des entités fédérées. Petit bémol, je ne vous ai par contre pas entendue sur un point qui me semble essentiel et qui avait été voté dans les résolutions, à savoir le fait d’encourager – et un peu plus que cela même – les zones de police à reprendre systématiquement contact avec les victimes dans les trois mois qui suivent la plainte, pour pouvoir simplement s’inquiéter de leur état, et aussi de prendre contact avec les auteurs, potentiels auteurs, présumés auteurs, pour maintenir sur eux une certaine pression.

On sait que c’est une initiative qui date du premier confinement, notamment dans la zone de police de Bruxelles, et qu’elle a été relativement couronnée de succès. Ce point-là, vous devriez pouvoir le mettre en œuvre via une circulaire. Je suis très heureuse d’entendre qu’il y a par ailleurs une circulaire sur les risques qui entrera en application début janvier 2021. Il serait effectivement temps de disposer de cet outil indispensable.