La panne d’électricité à Lantin, un établissement pénitentiaire où la situation devient intenable
La panne d’électricité à Lantin, un établissement pénitentiaire où la situation devient intenable

La panne d’électricité à Lantin, un établissement pénitentiaire où la situation devient intenable

Vanessa Matz (Les Engagés): Monsieur le ministre, je vais développer les deux sujets ensemble, ceux-ci étant intimement liés. Au départ, j’avais déposé une question sur la surpopulation carcérale avec toutes les conséquences que nous dénonçons depuis quelques mois, notamment depuis l’application de l’exécution des courtes peines. Nous tirons la sonnette d’alarme. Les directeurs de prison ainsi que les syndicats montent aux barricades. Un certain nombre d’actions syndicales ont eu lieu. Il est question de surpopulation, de dignité humaine et des conditions de travail dans lesquelles travaillent les agents pénitentiaires.

C’est une question essentielle qui vient de prendre une acuité gravissime depuis que des faits odieux et inqualifiables se sont déroulés. J’ai eu envie de vomir lorsque j’ai pris connaissance de ces faits. Il est question d’un détenu torturé, violé, massacré par des codétenus. Ils sont six dans une cellule et cela dure pendant trois jours. Ces faits se sont déroulés durant les jours de grève. C’est inqualifiable et incompréhensible que ces faits aient pu se produire à répétition. Ajoutons à cela que des vidéos ont été publiées sur les réseaux sociaux! Il n’y a pas de mots pour qualifier ces faits. Heureusement, les responsables de ces actes odieux ont été entendus et une procédure judiciaire est en cours. Fondamentalement, la question qui se pose derrière ce tragique méfait est de savoir comment cela a été possible.

Comment se fait-il qu’on soit dans un espace si confiné à six détenus? Comment se fait-il qu’à aucun moment, le personnel chargé de la surveillance n’ait pu détecter que ce tragique méfait se produisait? Ces questions sont, selon nous, selon la direction de la prison et selon les syndicats, liées à la question de la surpopulation carcérale et de toutes ses conséquences pour ce milieu qui est devenu explosif. Mais cela ne justifie en rien les faits qui se sont produits!

Comment se fait-il qu’il y ait six personnes dans la même cellule? C’est une question de surpopulation. Comment se fait-il qu’à aucun moment le personnel ne détecte cette situation dramatique? C’est lié aux conditions de travail, au manque de personnel pour assurer le suivi des détenus. Mes questions sont assez simples même si je me rends compte qu’elles sont complexes. On aimerait avoir plus d’informations sur l’affaire qui défraie la chronique.

Nous voudrions savoir quelles mesures concrètes vous prenez pour des établissements pénitentiaires pour lesquels des arrêtés ont été pris pour stopper l’arrivée de détenus, notamment à Lantin. Où va-t-on les mettre? Dans quelles conditions? Quelles conditions de dignité pouvez-vous offrir à ces détenus? Vous allez me dire que cela sera mis en place dans des années mais je vous pose la question maintenant. Cela fait des jours que nous demandons des solutions immédiates.

Paul Van Tigchelt, ministre: La situation de la victime reste précaire. Il y a surtout un risque d’infection en raison des brûlures qu’elle a subies. Le parquet a requis un juge d’instruction de mener l’enquête sur la torture de la victime par ses compagnons de cellule.

La zone de police d’Anvers a été appelée peu avant 18 heures, le mardi 12 mars 2024, après qu’un homme de 41 ans a été retrouvé très grièvement blessé dans sa cellule, et ce par la directrice de la prison elle-même. Il a été transporté dans un état critique à l’hôpital, où il séjourne toujours à l’heure actuelle.

Les cinq compagnons de cellule ont été arrêtés. Le laboratoire s’est rendu sur place pour une analyse des traces et un médecin légiste a été désigné pour examiner la victime. Le juge d’instruction a été requis ce matin. Le parquet a demandé l’arrestation des cinq détenus. Pour trois d’entre eux, les faits sont qualifiés de tentative de meurtre, viol avec la circonstance aggravante de torture, torture et traitement dégradant. Pour les deux autres, la qualification est celle d’abstention coupable.

Les autorités judiciaires demandent aux médias de ne pas diffuser d’images explicites, tant en raison de leur caractère répugnant qu’en vue de protéger la victime. Les personnes concernées ont apparemment filmé leurs actes et diffusé les images. L’enquête est confiée à l’équipe de recherche locale d’Anvers, sous la direction du juge d’instruction. Nos pensées vont avant tout à la victime, mais aussi aux membres du personnel qui ont été confrontés à ces faits. Ils bénéficieront d’un soutien psychologique s’ils en ressentent le besoin.

Indépendamment de l’enquête judiciaire en cours, l’administration pénitentiaire lance également sa propre enquête afin de vérifier si toutes les procédures internes ont été correctement appliquées. Je compte sur une analyse plus que minutieuse de ce dossier. Des conclusions devront en être tirées et des mesures devront être prises. On est en droit d’attendre cela d’un ministre. Je ne ferai pas de grandes déclarations aujourd’hui. J’attends les résultats de l’enquête interne et de l’enquête judiciaire.

Le problème de la surpopulation carcérale n’est pas neuf. Au cours de la présente législature, 1 200 places supplémentaires ont été créées, mais les nombres absolus ont également augmenté. Ces dernières semaines, on a constaté une hausse aiguë de l’afflux dans les prisons. La surpopulation carcérale s’élève actuellement à 15 %, mais elle atteignait 24 % voici 10 ans.

Le dossier Sky ECC entraîne une hausse du nombre de criminels du milieu de la drogue et de suspects de faits liés à la drogue dans les prisons, à savoir 4 800. Environ 3 600 personnes sans papiers sont incarcérées. En 2023, 1 500 d’entre elles ont été expulsées. Nous poursuivons évidemment les actions dans ce sens.

Le problème des internés est effectivement préoccupant. La Belgique est condamnée pour cette pratique depuis longtemps déjà. Près de 1 000 internés séjournent dans nos prisons pour l’heure. Or cet environnement est loin de garantir une prise en charge appropriée. Le gouvernement précédent a créé des CPL à Gand et à Anvers, mais ils ont été saturés en un rien de temps. Le masterplan existe toujours. Une nouvelle prison est en construction à Anvers. La prison d’Ypres a rouvert ses portes après sa rénovation.

Une nouvelle aile ouvrira prochainement à Haren. Et des projets existent pour les CPL de Paifve, Wavre et Alost, même s’ils se font effectivement attendre. Du personnel a été embauché et une mesure a été prise pour accélérer le recrutement. On a enregistré une augmentation nette des effectifs à raison de 611 personnes. L’ambition du gouvernement de faire exécuter toutes les peines est en train de se réaliser. Dans la mesure du possible, nous voulons réserver les peines d’emprisonnement aux personnes pour qui c’est réellement nécessaire. Tout juge doit motiver les raisons qui le poussent à prononcer une peine d’emprisonnement plutôt qu’une autre peine. Les peines d’emprisonnement de six mois ou moins sont supprimées. En effet, la détention présente plus d’effets préjudiciables que d’avantages.

L’ambition demeure de disposer de davantage de maisons de détention que les deux institutions qui existent actuellement. Des décisions ont déjà été prises concernant plusieurs maisons de détention, mais des procédures sont en cours, entre autres devant le Conseil d’État. Plusieurs problèmes à l’échelon local gênent également la création de petites maisons de détention.

Nous observons trois principes: toutes les peines doivent être exécutées, la peine de prison est l’ultime recours et, si une telle peine est prononcée, elle doit avoir du sens. C’est pourquoi nous investissons dans des fonctions d’accompagnateurs de détention et dans des maisons de détention, pour travailler à la réinsertion.

Dans notre pays, nous disposons de peu de chiffres relatifs à la récidive. L’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC) élabore actuellement une politique fondée sur les preuves et cartographie la récidive. Sur cette base, nous pourrons procéder à des ajustements politiques. Le manque de place dans les prisons est un problème historique. Ces 10 à 15 dernières années, on a beaucoup investi dans la rénovation des prisons et l’augmentation de la capacité carcérale. Malgré tout, le niveau de surpopulation demeure trop élevé. Je comprends dès lors la demande des directeurs des établissements ainsi que les préoccupations des organisations syndicales. Le dialogue a été maintenu tout au long de la législature. Je ne possède toutefois pas de baguette magique qui permettrait de résoudre le problème à bref délai. Un certain nombre de mesures ont été prises. Mercredi dernier, le régime de congé pénitentiaire prolongé a été réinstauré pour les personnes condamnées à une peine de prison de 10 ans maximum, qui ont déjà bénéficié précédemment d’un congé pénitentiaire réussi. Les personnes condamnées pour des faits de terrorisme et des faits de mœurs sont exclues de ce régime.

Concrètement, cela signifie que ces détenus seront un mois sur deux en congé pénitentiaire et un mois sur deux en prison. Il s’agit là d’un changement administratif qui créera immédiatement plus de places dans nos prisons. À l’époque, M. Geens, ministre de la Justice, avait également dû prendre cette mesure pour réduire la surpopulation; il avait alors opté pour un système alternant une semaine de congé pénitentiaire avec une semaine en cellule.

Ce choix a été opéré en concertation avec le personnel. Il doit permettre aux détenus d’œuvrer plus efficacement à leur réinsertion, tandis que la surcharge administrative et logistique demeure à un niveau acceptable pour les prisons. En organisant différemment le congé pénitentiaire, nous espérons créer à court terme davantage de places dans les prisons.

Il ne s’agit pas d’une mesure automatique mais d’un élargissement du congé pénitentiaire existant. Les contre-indications légales pour ce congé sont vérifiées et toutes les autres règles et conditions relatives au congé pénitentiaire s’appliquent. En d’autres termes, il n’est dérogé qu’à la durée du congé.

L’entrée en vigueur de cette mesure a été immédiate. Au 11 mars, 167 détenus avaient déjà été placés sous cette forme de surveillance pénitentiaire. Les mesures relatives à la surveillance électronique sont prises par le juge de l’application des peines. J’assume ma responsabilité de ministre, mais je ne puis guère influer sur les flux d’entrées et de sorties.

Autrefois, le ministre de la Justice pouvait libérer un détenu avec une simple signature. Nous avons modifié ce système dans le sillage de l’affaire Dutroux. Les tribunaux de l’application des peines ont hérité de cette compétence.

Nous poursuivons la mise en place de maisons de détention pour les personnes condamnées à de courtes peines. Il est exact qu’il n’y en a encore que deux, mais le gouvernement a par ailleurs créé 1 200 places supplémentaires dans les prisons. Environ 1 000 détenus condamnés à une peine de prison de 0 à 3 ans sont actuellement incarcérés. Toutefois, avant même l’entrée en vigueur de la loi relative au statut juridique externe pour les personnes condamnées à une courte peine, nos prisons comptaient déjà 400 à 500 détenus condamnés à de courtes peines.

Nous sommes actuellement en concertation avec les services de la Santé publique pour permettre le transfert des personnes internées vers des CPL ou d’autres établissements.

Des problèmes de capacité se posent en effet également dans le circuit de soins. Toutefois, nous admettrons moins facilement les nouveaux internés dans les prisons et demandons au département de la Santé publique de prévoir une prise en charge adéquate de ces personnes. Le but n’est pas non plus que les internés placés dans le circuit de soins médico-légal soient renvoyés en prison au moindre incident. En revanche, si la personne internée commet de nouvelles infractions pendant sa libération à l’essai et si le juge d’instruction délivre un mandat d’arrêt, il va de soi que la personne internée sera admise en prison Madame Matz, vous m’avez posé des questions concernant la prison de Lantin. Effectivement, un incident technique s’est produit dans cette prison le 28 février dernier. Cet incident qui était lié à une panne d’électricité à la suite de laquelle un seul des générateurs s’est correctement enclenché a duré presque deux heures. Le rapport très complet qui en a été dressé permet de se rendre compte de la gestion adéquate de la part de tous les acteurs concernés. Il permettra aussi à mes services de prendre les mesures correctrices nécessaires en ce qui concerne ces générateurs. Les démarches à ce sujet sont en cours en collaboration avec mon collègue en charge de la Régie des Bâtiments. Par ailleurs, pour ce qui est du masterplan et des nouveaux bâtiments, le travail se fait également en collaboration avec mon collègue en charge de la Régie des Bâtiments.

Le problème actuel de la surpopulation ne touche pas que la prison de Lantin, même s’il faut noter que cette prison accueillant une maison d’arrêt, une maison de peine, une annexe et une polyclinique est impactée par tous les facteurs actuels de surpopulation. Une des pistes de travail réside dans l’octroi de congés pénitentiaires prolongés. Cela devrait avoir un impact réel sur cet établissement comme sur tous les autres établissements du pays. Dans la mesure où ces congés n’ont été initiés qu’en fin de semaine passée, comme je viens de le mentionner, il est encore trop tôt pour en calculer les effets à Lantin et ailleurs. J’ai cité le chiffre de 167 détenus.

En ce qui concerne la discussion avec la bourgmestre, nous continuons à avoir avec elle un dialogue constructif. Ma cheffe de cabinet la rencontrera encore cette semaine afin d’évoquer avec elle les mesures prises au sein de l’établissement.

Vanessa Matz (Les Engagés): Merci, monsieur le ministre, pour ces longues réponses, qui ne répondent évidemment pas à la question cruciale et urgente – malheureusement illustrée par ces terribles tortures subies par ce détenu. Vous nous avez répété ce que vous nous dites depuis des mois sans remettre en question une once des choses faites ou pas faites par ce gouvernement ou par votre ministère. Vous dites notamment que la question des petites peines n’a rien à voir, qu’une décision a été prise et mise en œuvre, que c’est bien, etc. On sait que la surpopulation s’est terriblement aggravée ces dernières semaines et ces derniers mois. La question des petites peines n’est évidemment pas étrangère à cela.

Globalement, on nous dit que la criminalité n’augmente pas. De quoi s’agit-il alors? Pourquoi y a-t-il plus de détenus? C’est la politique qui change par rapport à cela. L’idée n’est pas de dire qu’il ne faut pas sanctionner ou prévoir des peines. Cependant, nous savons que ces peines d’emprisonnement, malgré les cris d’alarme des directeurs de prison et malgré une certaine opposition qui est montée aux barricades pour dénoncer un principe sur lequel vous n’avez pas modalisé – vous n’avez pas prévu la manière dont vous alliez agir – engendrent des situations dramatiques.

Vous nous relatez les faits. Il ne manquerait plus qu’aucune procédure judiciaire ne soit en cours à l’encontre de ces codétenus qui sont des tortionnaires – si les faits sont avérés et il me semble qu’il n’y a pas de doute sur la question!

Certes, une procédure judiciaire est en cours. Il ne manquerait plus que cela, comme je viens de le dire. Mais ce fait n’est-il pas de nature à provoquer un électrochoc et à trouver d’autres solutions, des solutions acceptables qui empêchent ce genre de fait ou d’autres de se reproduire, qui empêchent le personnel d’être sous tension permanente ou d’être face à des prisons qui sont de véritables bombes à retardement? Que proposez-vous par rapport à cela?

Vous affirmez avoir fait énormément, tout ce que vous deviez faire. Mais ce n’est pas vrai, nous nous rendons bien compte que tout n’est pas fait. Je ne parle pas seulement de cet acte terrible qui a eu lieu, car il y a des années que nous disons qu’il y a un problème.

Évidemment, vous n’avez pas de baguette magique pour régler l’ensemble de ce qui n’a pas été fait. Mais, ici, vous avez chargé la barque. Vous avez davantage mis sous pression le personnel et les directions en voulant exécuter bêtement, en utilisant des slogans, en voulant vous montrer les plus sécuritaires. Cela n’a pas de sens, et c’est en contradiction totale avec le futur Code pénal qui prévoit la prison comme dernier recours. Je suis terriblement inquiète vu le manque de réactions et d’empathie vis-à-vis de ce qu’il se passe et de ce fait qui aurait dû être un électrochoc pour vous et qui ne l’a pas été.