Ce lundi 7 février, j’ai eu le plaisir de conclure la conférence-débat qui avait pour thème : Violations de l’Etat de droit dans l’UE : le droit suffira-t-il ? Une organisation des Jeunes cdH et du cdH qui avaient invité pour l’occasion Maxime Prévot Député Fédéral et Président du cdH, Pascal Arimont Député Européen et Melchior Wathelet sénior.
L’Etat de droit à l’épreuve de l’efficacité de l’Etat
Aujourd’hui, l’Etat de droit est soumis à l’épreuve de l’efficacité de l’Etat face à la mondialisation et aux exigences de rapidité que nous impose le règne des réseaux sociaux.
La mondialisation rend impuissants les Etats à concevoir et à appliquer les règles de droit à des phénomènes qui dépassent ou échappent à leur emprise territoriale : les multinationales et leurs activités transnationales, les mafias, les organisations terroristes, les autres Etats, les virus…
Cette impuissance mine la crédibilité des Etats, la légitimité des élus et la valeur des règles qu’ils édictent puisque beaucoup peuvent y échapper.
La rapidité d’action -trop souvent confondue avec l’efficacité- que requièrent désormais les citoyens informés et souvent désinformés en temps réels par les réseaux sociaux met également l’Etat de droit sous pression.
Cette exigence de rapidité impose un rythme souvent incompatible avec le respect de l’Etat de droit, en tout cas au vu des moyens disponibles pour faire face aux menaces qui pèsent sur nous (terrorisme, mafias, pandémies, …).
Au moment où la mondialisation fait passer l’Etat pour impuissant, il lui est demandé d’agir toujours plus vite, sans que l’on accepte de lui donner davantage de moyens puisqu’il est impuissant.
Que fait-on aujourd’hui pour combattre cette impuissance ?
- On essaie de gérer la mondialisation à une échelle plus grande en renforçant -trop faiblement et trop lentement- le rôle de l’Europe face aux multinationales, au terrorisme, aux mafias et au flux migratoires.
- On réduit les droits des citoyens pour gagner du temps sans devoir augmenter les moyens.
C’est ce dernier point que je voudrais illustrer de quelques exemples :
- Faute de moyens suffisants, on crée des procédures sommaires et plus rapides dans diverses matières, comme le droit des étrangers ; on autorise des atteintes graves aux droits fondamentaux pour gagner du temps, comme les visites domiciliaires sans mandat de perquisition pour arrêter des personnes sans titre de séjour valable ; on prolonge les délais de garde à vue (avec plus de moyens la justice et la police pourraient faire en 24 h ce qui demande actuellement 48 ou 72 heures); on prive les enfants du droit d’aller à l’école plutôt que d’aérer les classes…
- On modifie les procédures d’élaboration des règles droit en substituant à un débat démocratique en public au Parlement une empoignade à huis-clos entre ministres d’un ou de plusieurs gouvernements. C’est ce que nous avons vécu et vivons encore aujourd’hui avec la loi « Pandémie » qui, sous prétexte de pouvoir agir rapidement, prive les citoyens du droit de prendre part par l’intermédiaire de leurs représentants à l’élaboration des règles qui mettent en balance leur droit fondamental à la santé et leurs autres droits fondamentaux. Il en résulte deux choses :
- d’une part, des règles inadéquates issues de compromis non entre des valeurs mais entre des intérêts de partis : la qualité de la délibération affecte clairement la qualité des règles et
- d’autre part, des règles dépourvues de la légitimité démocratique que confère une délibération publique des représentants élus, ce qui affecte l’adhésion des destinataires de ces règles -les citoyens- à celles-ci et donc leur efficacité.
Comme députée, je me suis toujours battue contre cette évolution dangereuse à la fois en combattant les dérives que constituaient à mes yeux les visites domiciliaires, les détentions arbitraires de migrants, les procédures sommaires (dernier exemple la volonté de la ministre de l’intérieur de supprimer le rapport de l’auditeur devant le Conseil d’Etat), l’allongement excessif de la garde à vue, la limitation du rôle du juge d’instruction et, bien sûr, contre la loi « Pandémie ».
Mais je ne me suis pas contentée de me battre contre, je me suis aussi battue pour que la justice et la police disposent de moyens suffisants pour lutter efficacement contre le crime organisé et le terrorisme sans devoir réduire les droits fondamentaux et pour que la justice ait les moyens de jouer son rôle de contre-pouvoir face aux atteintes disproportionnées de l’Etat aux droits fondamentaux des citoyens. Je me suis aussi battue pour une alternative à la loi « Pandémie » qui limitait drastiquement dans le temps la durée des mesures qui pouvaient être prises par le gouvernement à la place du Parlement pour faire face à la pandémie (notre proposition visait à mettre fin à l’utilisation politiquement abusive des lois sur la protection et la sécurité civile pour restreindre les droits et libertés des citoyens face au Covid en limitant à deux fois 5 jours la durée des mesures prises avant que puisse intervenir le Parlement).
Pour conclure, je voudrais vous dire que l’Etat de droit par lequel passe la protection de nos droits et libertés fondamentaux est en danger parce que la mondialisation, le terrorisme, les pandémies interrogent son efficacité.
Face à cela, il ne faut pas succomber à la tentation facile de restreindre l’Etat de droit sous prétexte d’être plus efficace parce que l’Etat de droit est une exigence éthique mais aussi un gage d’efficacité en ce qu’il garantit la sécurité juridique et contribue à l’adhésion aux règles.
Il faut au contraire renforcer l’Etat et l’Etat de droit :
- En transférant au niveau européen ce que notre Etat ne parvient pas à gérer efficacement à son échelle (et en transférant au fédéral ce qu’il pourrait gérer plus efficacement que nos entités fédérées) ;
- En renforçant les moyens consacrés par l’Etat à ses fonctions régaliennes et en particulier à la justice et à la police afin que les règles soient appliquées et qu’il y ait un contre-pouvoir face à l’Etat ;
- En laissant au seul parlement le soin d’arbitrer, au terme d’une délibération publique, les conflits entre l’efficacité et nos droits fondamentaux.
A ces éléments, je voudrais en ajouter un [qui a été évoqué dans nos débats de ce jour à propos de la Pologne] qui est celui des sanctions et en particulier des sanctions vis-à-vis des puissants qui apparaissent souvent comme au-dessus des lois. Je songe ici aux grandes entreprises et aux Etats. Je pense que le législateur et les juges font preuve d’une excessive timidité au niveau des sanctions et des contraintes face aux violations du droit par les grandes entreprises et par l’Etat.
Les niveaux d’amendes à l’égard des violations du droits par les grandes entreprises et leurs dirigeants sont beaucoup mais beaucoup trop bas pour être efficaces. Comparées à celles qui peuvent être imposées aux USA, elles font sourire. Il en va de même pour les astreintes.
Il en va de même en ce qui concerne les Etats au niveau non seulement européen mais également au niveau belge. Les astreintes prononcées par la plupart de nos juridictions -en tout cas après appel- ne sont pas de nature à faire respecter les décisions de justice. Je songe par exemple aux astreintes prononcées récemment à l’encontre du Secrétaire d’Etat à l’asile en ce qui concerne les demandeurs d’asile dont il se fiche cyniquement ou celle prononcées dans le cadre du survol de Bruxelles qui liassent l’Etat fédéral et l’aéroport indifférents.
Il y a là, me semble-t-il, un chantier à explorer pour renforcer l’Etat de droit et ôter de la tête de certains l’idée délétère que la règle de droit ne vaut que pour les petits et pas pour les gros ni pour l’Etat lui-même.